Accueillir l’étranger, s’ouvrir à l’étrange
La violence et la peur s’imposent chaque jour un peu plus comme devenant les deux principaux leviers du Politique. Que dominent cette violence et cette peur dans les espaces sociétaux n’est sans doute pas nouveau au regard de la déjà longue histoire de l’espèce humaine ; le vingtième siècle n’est d’ailleurs pas si loin qu’il faille déjà mettre au compte de l’oubli tous les massacres l’ayant entaché. Mais quelles que soient les monstruosités des époques et de leurs crimes, de dessous les restes de bestialité qui façonnent l’humain finit toujours par rejaillir le peu de créativité d’où germent les lendemains. C’est la raison pour laquelle l’instinct de survie commande aujourd’hui d’éteindre le poste de télévision et de se déconnecter des réseaux sociaux ; non pas pour ne plus voir et ne plus entendre, mais pour retrouver ce rien de silence sans lequel la pensée n’est plus possible. Il faut être en capacité de se déprendre du bruit que font les symptômes d’une crise de civilisation pour, par-delà les déchirures de l’entendement, être en mesure de se saisir ce qui dans l’apparente folie des temps modernes donne encore du sens à une présence de l’homme. C’est ainsi que bien avant que le chantage aux migrants n’atteigne les sommets du cynisme contemporain, l’été 2018 a été ma parenthèse dans l’espace et le temps pour mettre des mots sur L’Autre Monde, le monde de l’autre, une galerie de portraits réalisés par Arnaud Foulon. Cet autre monde est le monde des êtres passés de l’autre côté du miroir et dont les visages ne réfléchissent pas la mêmeté mais au contraire l’étrangeté. L’autre monde est le monde de ceux pour qui la différence n’estompe pas la ressemblance au point d’interdire le passage d’une frontière ou de forclore le refoulé. Dans les photos et les textes de L’Autre Monde, l’étranger n’est jamais assigné à un ailleurs. Au contraire! Dans la chaleur de l’été 2018, les mots ont joué de l’obscurité et de la lumière, sauté par dessus les plaies et les bosses jusqu’à ce qu’une poésie de l’humain devienne l’ombre portée d’une science de l’homme. Mais avant cela ?
Ils remontent à plus de quinze ans les premiers instants de ce qui allait devenir la rencontre avec Arnaud Foulon. L’homme d’alors ne tient pas en place dans sa formation de moniteur éducateur ; sous l’élève fulmine le cas social. Le poli laisse filtrer une de ces personnalités transgressives que seules les errances habilement canalisées par les connaissances permettent de conduire vers les territoires de l’inconscient et donc de l’humain. Car, dans la réalité, les visiteurs de l’âme ne sont pas des enfants de cœur ; ce n’est pas être sage que de prétendre se frotter à ce qui fait l’envers de l’homme, ses dérives, ses déviances, ses douleurs. A la fin de sa formation l’Arnaud devenu éduc a suivi son chemin jusqu’à ce que resurgisse l’Arnaugraphe, l’amateur photographe ; ce Foulon du regard qui par-delà les clichés vient tirer les portraits du fou et de l’étranger. 41 images. Une galerie de 41 visages défigurés à dégueuler jusqu’au bout et dont la seule échappée possible sont les mots délirés en titres et légendes. Non pas des commentaires qui viendraient comme des prières sur des fossiles, mais des vers tirés du nez de l’écrivant venu renifler l’Etre sous l’étant, la majuscule sous le minuscule. Pour se hisser à hauteur de l’indicible le discours doit disposer d’une grammaire autre que celle apprise dans les écoles ; celui qui est condamné à l’exil ne peut plus regarder vers hier, son ordre et ses repères. Dans L’Autre Monde, l’image et le verbe se moquent des raisons qui n’en sont pas et se rient des maux, des camisoles et des murs. Ça cavale. Ça bouscule. Ça énerve et ça débande.
Jusqu’à ce que, au bout de l’épopée, surgisse ce petit fascicule mis en pré-vente dès à présent… travail de fourmi, oeuvre de rêveurs. Il n’a pas la prétention d’être une boussole, même si au détour d’un paragraphe il se pique de trouver l’ombilic du monde, cette cicatrice propre à toute naissance. Il ne prétend pas non plus être une carte du non tendre puisque le fou comme l’étranger ne s’accordent d’aucune pitié. Ce petit fascicule, sa galerie de portraits et ses jeux de mots sont tout juste un pied de nez à la haine.
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