Prête-moi ta plume, pour décrire des maux…

Prête-moi ta plume, pour décrire des maux…

J’ai déjà évoqué le livre de Sophie Moreau, Œil pour œil, clan pour clan, journal d’une jeune éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Parce que ce dernier a été publié dans la collection l’éducation spécialisée au quotidien que je co-dirige avec Daniel Terral aux éditions érès, certes, mais aussi parce qu’il est rare que soient données l’expérience et la chance d’accompagner une jeune professionnelle dans la mise en mots de sa pratique professionnelle. Or, je l’ai déjà dit et ne cesserai de le répéter, l’avenir des métiers de l’humain passent par leur reprise en main par des professionnels enfin reconnus en leur expertise… dès lors que ces derniers seront en capacité de rendre visible et lisible la complexité d’une présence au quotidien masquée par la banalité des actes produits au jour le jour. Et Sophie Moreau excelle dans l’art du dérisoire et du savoir rire de ces petits riens qui, énoncés tels quels, paraissent anecdotiques alors qu’ils sont essentiels. L’ouvrage va être présenté aux élèves et professionnels de la PJJ par l’Ecole nationale sur son site de Roubaix dans le cadre des Nuits de la lecture. La lecture est à l’écriture ce que la source est à la rivière : son origine, son lieu de naissance, son souffle et sa matière. Fallait-il la Covid 19 pour prendre conscience du caractère essentiel de la culture ? Fallait-il la Convid 19, pour dénoncer le fait que l’entreprise Amazon, aussi légitime soit-elle, détruit en silence, depuis des dizaines d’année et bien avant le surgissement de la pandémie, toute une « industrie » du livre… des librairies de proximité aux réseaux de distribution en passant par les petits éditeurs. « Big is beautiful ! » Parvenu au sommet de son influence, le libertarisme (néolibéralisme) a fini par imposer sa norme. Amazon est imbattable sur sa capacité de stockage et sur ses délais de livraison prompte à satisfaire le « tout, tout de suite » de consommateurs plus pressés d’avoir le livre que de le savourer, à la virgule près. Un libraire, c’était avant tout un amateur du savoir lire; car, c’est la lecture qui fait le lecteur, et c’est le lecteur qui fait le libraire. Aussi est-il dommage que l’apprentissage de la lecture s’arrêt avec le CP alors que le savoir lire est un art qui se cultive tout au long d’une vie. Alors si l’appel à s’indigner de Stéphane Hessel était le bienvenu dans un monde rendre amorphe par la force des mauvaises habitudes, il ne faudrait pas que la posture devienne une imposture et que l’indignation serve de morale à bon compte.

La session 2021 des Nuits de la lecture à l’ENPJJ est maintenue malgré les mesures sanitaires. Je ferai le voyage jusqu’à Roubaix pour expérimenter la nécessité des déplacements raisonnés afin de maintenir vivants les liens indispensables à toute communauté d’apprentissage.  Trop d’étudiants et futurs professionnels sont à la ramasse dans un contexte qui heurte de plein fouet des schémas d’enseignement et d’apprentissage. Indépendamment du contexte, une fois encore, trop d’étudiants sont en quête de références bibliographiques lorsqu’ils sont au pied de la rédaction du mémoire… c’est-à-dire bien trop tard.  Alors ce 21 janvier, l’amphi sera à son niveau d’étiage le plus bas afin de respecter les règles de sécurité sanitaire mais la rencontre sera retransmise sur un espace privé de You tube et donc accessible à distance. La covid 19 imposant ses urgences sanitaires, il appartient à l’homme de savoir s’adapter pour le meilleur et pour le moindre pire. J’apprends laborieusement à ne pas désespérer des réseaux dits sociaux ; le même empressement à juger l’autre dans sa différence, voire à l’excommunier de la communauté des vivants dès lors que son avis déplaît, existait avant que ne surgissent l’Internet, les « followers » et autres « influenceurs ». La lecture de quelques extraits d’ouvrage, lors des sessions de formation en présentiel auprès des équipes de professionnels, me renvoie chaque fois à la difficulté du savoir lire et comprendre par-delà les représentations et les préjugés, du savoir patienter des phrases voire des pages durant avant que de saisir l’intime de la pensée d’un auteur, d’avoir le courage d’aller jusqu’au terme de plusieurs dizaines de page pour découvrir une façon de penser et d’argumenter différente de la sienne propre, et pour, au final, modifier son point de vue. Ça sert à ça, la lecture ! A ouvrir des contrées nouvelles. A repousser l’horizon.

Aussi, à l’heure où cette succession de crises économique, climatique, sanitaire, raciale, du genre, etc. bouscule les rapports de l’homme à lui-même et au monde, la PJJ, ses établissements, ses services et ses professionnels demeurent-ils investis par l’Etat pour agir le projet humaniste selon lequel de dessous le gamin ayant commis un acte délinquant ou criminel peut surgir un enfant capable de renouer avec une trajectoire de vie non plus subie mais choisie. Il n’y a de Sujet possible qu’en l’être accompagné dans le grandir par des adultes investis dans leurs responsabilités. C’est ce que raconte et partage Sophie Moreau.

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