Publier un livre… ou du savoir rendre compte de son métier
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Lorsque j’ai reçu le premier jet du manuscrit de Jacques Tréminitin, j’ai su d’emblée que nous finaliserions, ensemble, un ouvrage qui trouverait pleinement sa place dans la collection « de l’éducation spécialisée ». Et pourtant… Au commencement, ce sont plus de 500 pages de texte qui me sont arrivées par un courriel dans lequel Jacques exprimait tous ses doutes quant à l’intérêt de publier son écrit. A l’entendre, et à l’instant de faire valoir ses droits à la retraite, cet envoi était pour lui comme une façon de s’acquitter de vingt-sept ans de métier d’éduc (Jacques étant par ailleurs assistant social de profession), de s’alléger du souvenir de tous les gamins accompagnés dans leur trajectoire de vie, de se déprendre de tous les moments d’espoir, de doute, de crise et de bonheur emmêlés.
Pour cela, et de la même manière que chacun d’entre-nous peut faire le tri dans les tiroirs de sa mémoire, il avait rassemblé quelques une des chroniques publiées dans le journal Lien Social, certaines augmentées d’un commentaire, auxquelles il avait ajouté d’autres textes non encore publiés. Et, au moment de me les adresser, Jacques s’excusait presque de les avoir produites et surtout de me contraindre à une lecture qui, disait-il, me ferait forcément perdre mon temps. C’est étrange l’existence ! Nous avons tous fait l’expérience de croire bien connaître une personne que les hasards de la vie professionnelle amène à fréquenter durant des années et, au final, d’être surpris de découvrir le visage caché de cette même personne. Lors de colloques et autres journées d’études, j’avais vu Jacques animer des débats devant une salle comble de professionnels, poussant les intervenants dans leur retranchement, maniant l’humour afin de forcer les argumentations et je n’avais jamais soupçonné le fait qu’il puisse douter, à ce point, de lui et de ses écrits. Je retrouvais là, incarné par lui, ce même complexe qui fait partie de la culture des éducs : un vague sentiment, unanimement partagé, de n’être rien ou, plutôt, de n’y être pour presque rien dans le mieux être des gamins accompagnés. Voilà une corporation, celle d’éduc, qui gueule son désespoir à n’être ni reconnue dans son expertise ni entendue dans ses revendications et qui peine à s’accorder, par et pour elle-même, un minimum d’estime.
Ensemble, donc, nous avons allégé le texte ; ne retenant de manière prioritaire que les situations où la narration des éléments factuels faisait aussi l’objet d’une hypothèse de compréhension des faits relatés. Une hypothèse n’étant ni une intuition ni une interprétation purement subjective. Ensemble, nous avons œuvré pour remplacer le « il » par un « je » chaque fois que le pronom servait à le désigner comme étant le sujet de l’action. J’en suis d’autant plus heureux qu’il y a quelques jours, des professionnels me faisaient part de comment, dans certaines institutions, le « je » était banni des écrits pour être remplacés par un « nous » de convenance, anonyme et ne disant rien des différentes hypothèses discutées dans les instances de réflexion avant que l’une d’entre elles soit retenue. C’est la négociation entre plusieurs « je » qui peut parvenir à faire un « nous » et non pas une imposture de circonstance. Nous avons bien sûr réarticulé l’ensemble, résisté au désir d’en rajouter tant quelques fragments lui semblaient impuissants à tout pouvoir dire de la complexité de sa posture et de la diversité des situations. En dépit ou grâce à tous ces échanges, je savais que, au final, ce serait un bon livre. Parce que, à l’heure où dominent dans les discours les sentiments de perte de sens et d’usure professionnelle, ce n’est pas rien que de lire le témoignage de vingt-sept années consacrées à la protection de l’enfance. Parce que ce n’est pas rien de partager l’histoire de gamins poussés dans l’existence par des violences qui font facilement la une des faits divers mais dont beaucoup peinent à comprendre et à évaluer les conséquences sur leur advenir. Parce que, au sein de la collection « De l’éducation spécialisée », cheminent désormais côte à côte les ouvrages de Jacques Trémintin, aujourd’hui à la retraite, et de Sophie Moreau, jeune éducatrice débutant sa carrière au sein de la PJJ. Exit le clivage anciens/nouveaux… L’appropriation d’un métier est une affaire d’acquisition de compétences, certes (et les nouveaux référentiels ne cessent d’insister sur cette dimension), mais aussi une histoire de cœur.
A l’heure où les « soft skills » reprennent toutes leur place dans les processus de recrutement et les dynamiques d’équipe au sein des entreprises, il serait triste et pour le moins dommage que l’éducation spécialisée (laquelle à exclu les savoir-être des référentiels métier) se tienne à l’écart d’un tel mouvement. Pendant 27 ans, malgré les doutes et les difficultés, Jacques Trémintin a aimé les gamins qu’il a été amené à accompagner… et « ça, ce n’est pas rien ».
One Reply to “Publier un livre… ou du savoir rendre compte de son métier”
Hâte de le lire !!!
Bravo Jacques.