L’éducateur spécialisé n’est pas un coordinateur
Stoppons, le gâchis… car il faudra bien finir par entendre le désarroi des employeurs et des équipes des établissements spécialisés qui accueillent des jeunes professionnels ou des étudiants en stage trop tôt décontenancés face aux réalités du métier et aux multiples spécificités des publics accueillis. Car il faudra bien finir par entendre l’impuissance et la colère des étudiants qui, lors du premier stage, se confrontent à la complexité d’un accompagnement au quotidien et aux passages à l’acte déstabilisants pour ne pas dire violents des personnes accueillies. Car il faudra bien finir par répondre à l’usure prématurée de jeunes professionnels, diplômés au terme d’un parcours de trois ans, qui, une fois sur le terrain, ne connaissent plus rien de leur identité et de leur fonction dans l’institution. S’il eût fallu créer une fonction de coordinateur, chose dont je ne suis toujours pas convaincu, il n’aurait jamais fallu la confondre avec celle d’éducateur spécialisé.
Il n’aurait jamais fallu accoucher, d’une situation dans laquelle coïncideraient deux diplômes d’éducateur spécialisé ; l’un, d’avant la réforme de 2017, considéré comme un métier de la relation d’aide éducative et l’autre, d’après la réforme de 2017 (reconnu à Niveau 6 selon la classification européenne), hissé à la fonction de coordinateur de parcours… ou de coordinateur d’équipe. Sur ce point aussi le flou domine ! Personnellement ébranlé par ces orientations prises et leurs inévitables conséquences alors que j’étais en fonction de direction d’établissement de formation, l’alerte devait résonner en moi de manière singulière lorsque, il y a quelques mois, je fus invité par une grande association nationale de protection de l’enfance à réfléchir dans le cadre d’un colloque sur le rôle et la fonction des techniques éducatives de médiation dans l’accompagnement des gamins accueillis. Prenant à contre-pied mes apports praxéologique, élaborés à partir de mon expérience de terrain en qualité d’éducateur spécialisé et renforcés par mes travaux théoriques, le directeur général de l’association devait, dans son allocution de clôture, déclarer qu’il n’était pas certain que ces techniques de médiation relèvent encore du domaine de compétences des éducateurs spécialisés. Et il s’en remettait au Nexem pour trancher ce que devait être le rôle d’un éducateur spécialisé. Il faudra bien finir par admettre que mes métiers de l’éducation spécialisée ne sont pas confrontés à une perte d’attractivité mais à une perte de sens. Et il ne fallait pas être grand devin pour la voir advenir !
Les employeurs et les équipes, ensembles parvenus en quatre décennies au bout du bout de restrictions budgétaires drastiques et d’un contexte sociétal pesant de tout son poids sur le comportement des personnes accueillies, sont, les uns et les autres, en quête de professionnels en capacité de tenir et de contenir des passages à l’acte qui, bien que résonnant comme des « comportements fous », sont bel et bien de véritables appels à l’aide. « Est éducateur » tout adulte dont la qualité de présence auprès d’une personne en situation de vulnérabilité autorise celle-ci à prendre le risque de modifier son mode de rapport à elle-même et au monde. Cette qualité de présence de l’éducateur est liée à sa capacité à voir et à entendre cet autre que lui-même au-delà de ce qu’il donne à voir et à entendre par la mise en scène de ses symptômes (de faire surgir l’être de dessous le paraître). De l’aider à s’inscrire ou à se réinscrire dans une trajectoire de vie (laquelle n’a rien à voir avec la notion de parcours) qui ne soit pas subie, parce qu’impactée par des événements circonstanciels, mais choisie, parce qu’adossée à un reste de désir à être. A cet égard, il existe bien une éducation spécialisée dont la spécificité est l’accompagnement de personnes dont la présence au monde a été impactée, souvent de manière précoce, par des événements de nature traumatique. Au regard de quoi, « être éducateur », et pas seulement « faire éducateur », est véritablement un métier (et pas seulement une simple affaire de bon sens comme il se dit encore trop souvent) dont la complexité est masquée par la banalité des actes produits au quotidien. En conséquence de quoi, ce métier requiert, comme le disaient déjà Maurice Capul et Michel Lemay, un haut niveau de connaissances théoriques associé à une indispensable réflexion sur le sens à être dans ce métier, elle-même consolidée par à une rencontre avec les personnes accompagnées lors des stages (1). La profession a besoin de professionnels de proximité formés à bac+3… sans pour cela méconnaître ou nier la qualité des formations des autres professionnels de l’éducation spécialisée, tels que les moniteurs éducateurs ou les AES pour lesquels j’ai la plus grande estime. Le grand tort de la profession est d’avoir trop longtemps soutenu l’idée selon laquelle, indépendamment des diplômes et du niveau de formation, « tout le monde faisait la même chose » (j’ai payé cher, à l’époque, d’avoir soutenu le contraire (2)) ; une idée aussitôt enfourchée par tous ceux qui, au sein des gouvernements successifs ou des associations employeurs, voulurent faire des salaires la variable d’ajustement des budgets de fonctionnement.
Il a été facile de démolir les métiers de l’éducation spécialisée… il sera plus compliqué d’engager leur reconstruction. Il faudra, pour cela, cesser de chercher « un » coupable à leur dramatique délitement et renoncer au réflexe archaïque de désignation d’un « bouc-émissaire » ; que ce dernier ait pour nom, tour à tour, « Macron », les Conseils départementaux, les Associations employeurs, les instances représentatives voire les professionnels de proximité. Qu’il s’agisse de penser le changement, que ce soit celui de l’organisation des structures d’accueil ou celui du comportement des personnes accueillies, ou qu’il s’agisse de réfléchir les profils de professionnels et l‘adaptation des dispositifs de formation (initiale et continue), il faudra bien revenir au respect inconditionnel de chacun des acteurs impliqués, accepter la « disputatio » (l’échange et l’écoute des points de vue) en lieu et place du recours aux invectives, engager les négociations aboutissant à une reconnaissance des spécificités et compétences de chacun, et, au final, offrir à l’éducation spécialisée un avenir qui soit à la hauteur des défis posés par ce qui fait l’humain de l’homme.
(1) Maurice Capul et Michel Lemay, de l’éducation spécialisée, nouvelle édition, érès, 2019
(2)Philippe Gaberan, Être éducateur dans une société en crise, éditions ESF, 1999
6 Replies to “L’éducateur spécialisé n’est pas un coordinateur”
Merci, après 25 ans sur le terrain en tant qu’ES. Titulaire d’un CAFERUIS, exercé pendant 2 ans et demi au sein du secteur médico-social adulte. Puis directeur de crèche, tout en ayant été certifié en APP et accompagné des équipes. Formateur vacataire en écoles au métier éducatifs et maître d’apprentissage pendant toutes ces années… Je viens de retourner sur le terrain en tant qu’ES. J’ai tenu un mois et suis en arrêt de travail.
Je suis totalement perdu dans mon cœur de métier qui est une passion, mais qui n’ plus de sens. Des troubles anxieux se développent à la vitesse de la lumière ou du son.
Je me retrouve dans cet article sans pour autant avoir la moindre idée de ce que je vais devenir sur le plan professionnel.
Merci à vous d’avoir encore la force d’y croire et de nous y inciter.
Cordialement.
Fabrice Marc
Aujourd’hui, sur le terrain, il y a un grand décalage avec les attendus des nouveaux éducateurs coordinateurs et les réalités du quotidien. La nouvelle formule vendant de la coordination à « des gamins » issus de parcoursup alors que le sens de l’accompagnement se trouve encore dans l’accompagnement du quotidien. Ainsi, ce n’est pas qu’une question budgétaire de plébisciter les moniteurs éducateurs dont la formation permet encore de prôner le quotidien, le collectif comme des leviers de l’accompagnement.
Les écoles du travail social forme plus d’éducateurs spécialisés que de moniteurs, pourtant on ne peut pas tous être coordonnateurs !
Remettons du sens à nos professions !
Redonner du sens au métier. C’est peu de le dire. En tant que ES , j entends et je vois les dérivés d’un système qui ne parle plus que de prestations , et de lignes budgétaires en oubliant ceux pour qui nous existons. Ces personnes se perdent dans des dispositifs qui se multiplient sans pour autant apporter de réelles réponses au quotidien de ces mêmes personnes. Il faut redonner une voix aux ES pour réaffirmer leurs places éducatives et non celles de comptable d activités pour la justification d’actes dont le résultat n aura pour finalité que le delitement inévitable du secteur.
Quand j’étais stagiaire AES je devais porter à bien un projet d’animation avec des résidents. Le jour J , j’avais décidé de transgresser la règle et de ne pas donner de traitement à x afin qu’il soit dans son plein potentiel et que je puisse encadrer la personne avec mes capacités rassurantes et continuer le travail que j’avais pu mette en place en amont. Malheureusement il a fallu qu’il prenne son traitement et le moment venu durant l’animation c’était un vrai légume .
Merci pour se que vous dénoncer.
Ne pas donner un traitement n’est pas un acte transgressif mais une faute professionnelle grave parce que non seulement vous n’avez pas le droit de le faire mais parce que vous mettez en danger la personne. C’est là un point fondamental. En revanche, il est vrai que certains traitements semblent diminuer les capacités de la personne mais il nous appartient, à nous éducateurs, de savoir adapter le cadre de l’activité et ses objectifs pour permettre à la personne de la vivre au mieux et de maintenir son potentiel. Cordialement