La formation des cadres de proximité ou l’enjeu d’un renouveau pédagogique
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La formation des cadres de proximité (ou cadres intermédiaires) pourrait être l’occasion d’acter une forme de pédagogie qui, ne pouvant plus être qualifiée de nouvelle puisqu’elle reprend des fondamentaux aperçus dès le début du XXe siècle, deviendrait le principal vecteur d’une régénérescence de la vie au travail ; et, par voie de conséquence, l’occasion de sortir de la crise frappant l’éducation spécialisée et le travail social. Mais pour cela il faudrait bousculer certains usages et habitudes en cours dans le champ de la formation et oser une transformation de ses représentations et de ses pratiques. Trop de formations sont encore organisées sur le principe du « one shut » : une séquence de formation… et puis c’est tout.
En effet, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que le transfert dans la pratique des savoirs supposés acquis en formation s’avère, trop souvent, être inversement proportionnel à l’enthousiasme et au niveau de satisfaction, très souvent évalués au terme de la formation (« à chaud » comme l’on dit). Se trouve être en cause d’un tel phénomène le retour à une réalité de terrain, déterminée par les fausses contraintes et les pseudos-urgences, qui réactive le sentiment de « ne rien pouvoir changer » et qui relègue assez vite le souvenir de la formation au rang d’une parenthèse éphémère dans la routine d’une existence professionnelle. De quoi entretenir un discours sur l’inutilité des formations ! Cette déperdition de valeurs et d’énergies est d’autant plus entretenue que la mesure de l’innovation et de la créativité impulsées par un processus de formation échappe aux organismes occupés à gérer l’immense domaine de la formation professionnelle, ses enjeux politiques et ses intérêts financiers. Plutôt que d’affronter la complexité, il leur est plus simple de contenir les finalités et les contenus de formation dans des formats minimalistes ; à savoir, des formations courtes, de préférence, et centrées sur le juste « nécessaire à maîtriser ». Comme une sorte de « just in time » (juste à temps), mais appliquée à la gestion des parcours professionnels. Pour contrer cette dérive, il me semble urgent de renouer avec le temps long en formation et donc de se coltiner le paradoxe selon lequel les cadres vivraient mal le fait d’avoir toujours la tête dans le guidon mais n’auraient pas, pour autant, assez de temps à consacrer à une démarche de formation dont ils ne seraient pas de simples consommateurs mais de vrais co-opérateurs. Une telle ambition exige une durée de formation suffisamment conséquente pour permettre les allers et retours entre l’expérience pratique et l’exigence théorique, un tuilage entre l’intuition de l’agir et sa conceptualisation. Bref, de renouer avec le principe de l’alternance, fort mis à mal ces derniers temps.
Prétendre rénover la formation des cadres c’est avoir l’ambition de reprendre la main non seulement sur une fonction mais aussi, et peut-être surtout, sur un métier. Qu’est-ce que « être manageur » ? Avant même que de répondre à cette question, force est de constater que de sérieux tabous pèsent sur la représentation communément partagée de ce qu’est le management. Il est de bon ton, par exemple, de penser et d’argumenter l’idée selon laquelle le management, et même le « bon management » repose sur les seules qualités du manageur ; quid, par conséquent, de l’engagement et de la responsabilité de chacun dans une dynamique d’équipe ? Tout comme il est de bon ton d’évoquer le « harcèlement au travail » ; lequel serait l’apanage du seul manageur, forcément « mauvais ». Au regard de quoi il devient plus compliqué voire impossible, sauf à parler de fatalité, d’évoquer le comportement de subordonnés faisant obstacle au fonctionnement d’une équipe ou, plus grave encore, d’évoquer les personnalités à comportement toxique. Autant de choses sues mais tues ! Un silence qui fait le jeu d’un courant de pensée dominant selon lequel le management serait avant tout une affaire d’outillage et d’application de process. Concevoir et animer une formation des cadres, c’est l’opportunité à saisir pour offrir à ces derniers la possibilité de disposer d’un temps et d’un espace sécurisés au sein desquels ils peuvent mener une réflexion critique sur à la fois leur pratique et l’ensemble d’un corpus théorique. Il suffit de se rendre sur la plateforme Cairn.info pour prendre la mesure des productions dans le domaine du management (1). Une telle profusion et une telle diversité sont certes un signe de vitalité mais un risque aussi de perte de lisibilité. Quel cadre peut se targuer aujourd’hui de disposer du temps nécessaire à la lecture de toute cette production ? Aussi, et pour que la veille informative ne reste pas à l’état d’un vœu pieux, faut-il concevoir un espace-temps de formation au sein duquel non seulement les références sont mises à disposition des participants mais aussi des notes et indications venant en soutien d’une lecture active. Cela requiert la mise à disposition, dès l’amont de la formation, d’un programme détaillé, certes, et aussi des ressources et des supports (fiches de lecture et journal de bord) ayant pour finalité de permettre aux participants d’élaborer, en cours de formation et non plus après, une vision prospective de leur management et des possibles leviers de transformation.
Pour que le management, et d’autant plus le management « participatif » (un pléonasme selon moi) ne demeure pas à l’état de « fantasme », tel que celui du « bonheur au travail » prétendument vendu par mille et une officines, il va falloir accepter de se confronter à une autre représentation du management que celle communément véhiculée par quelques idéologies ou idées reçues. Prétendre susciter une présence et une posture proactives des participants à une session de formation, tout comme prétendre renouer avec un management participatif, peuvent sembler être de véritables gageures à l’heure où le consumérisme sert de cheval de Troie au service d’une démolition des espaces de démocratie. Une démocratie d’autant plus attaquée de toute part qu’elle est déjà profondément affaiblie ! Reprendre la main pareille tempête s’apparente à l’art de la navigation pour lequel il est vain de penser pouvoir passer en force, et pour lequel seule l’habileté combinée à la patience permet de ne pas perdre le cap. Il va falloir savoir redonner l’envie de la réflexion et le goût du partage. Un défi que je souhaite relever. (2)
(1) Cairn-info : un autre palmarès des universités françaises est possible, un article signé Soazig Le Nevé et publié dans le journal Le Monde daté du samedi 17 août 2024 souligne la contribution de cairn-info et des quatre éditeurs indépendants à l’origine de celle-ci (dont les éditions érès) au développement et la reconnaissance de sciences humaines et de leur contribution à la réflexion sur l’état de la société et de son évolution
(2) Manager les équipes par temps de crise – érès formations (editions-eres.com)