Education spécialisée, la formation à l’épreuve du transfert des savoirs transmis

Education spécialisée, la formation à l’épreuve du transfert des savoirs transmis

Jean-Philippe : « Merci, monsieur Gaberan. Cette formation va m’aider à adopter un ordre logique dans la construction de mes écrits.

Marie-Christine : « Merci, ça redonne du « peps » ! »

Bernard : « Merci, monsieur Gaberan. Les apports étaient vraiment intéressants, surtout la méthode indiquée… mais je ne suis pas sûr de pouvoir l’utiliser. J’ai mes habitudes d’écriture. »

Louise : « Je rebondis sur ce que dis Bernard. Moi aussi, quand je commence mon écrit, je rédige tout ce qui me vient en tête. Je n’arrête plus et j’arrive à 16 pages (petit rire). »

Ces échanges se commirent « à chaud », à près de 17000 kilomètres de distance et par visio-conférence au terme d’un module de formation de quatre séances de deux heures chacune consacré aux écrits professionnels. Il n’est pas fréquent que des participants parviennent à exprimer aussi spontanément le conflit cognitif entre des habitudes installées et une pratique renouvelée. Avant l’intervention, j’avais pris le soin de transmettre l’essentiel du déroulé, un power-point, ainsi qu’une présentation des principaux apports théoriques concernant les enjeux du passage d’un pouvoir rendre des comptes à un savoir rendre compte . J’avais notamment insisté sur une méthode de conception et de rédaction des écrits articulée autour de trois paragraphes : le factuel, les circonstanciels et l’hypothèse. Pour chacune des séquences, je commençais par une courte introduction, une quarantaine de minutes, reprenant les enjeux des écrits professionnels et proposant une synthèse de la séquence précédente. Puis nous consacrions le reste du temps à des exercices pratiques d’écriture de situations choisies par les participants, suivis de leur mutualisation. Et parce que Bernard, au moment de partager son écrit, s’excusa par avance d’avoir tout « jeté en vrac », je proposai à la séquence suivante, et avec son accord, une reformulation de son compte-rendu de situation à partir de l’ensemble des informations données par son propre écrit. Cet instant fut particulièrement dense en réflexions et dûment apprécié.

Au tout commencement de la formation, j’avais pris le soin de préciser que l’écriture en général, et l’écriture professionnelle en particulier, relevait d’un exercice compliqué… et qu’il le demeurerait au terme de mon intervention. Bien avant cela, lors de la négociation avec le commanditaire (en l’occurrence la direction du service), j’avais été attentif à préciser que la formation ne pouvait à elle seule palier tous les manques : la pauvreté du vocabulaire, l’oubli des règles de grammaire, les manquements à l’orthographes ou bien encore les maladresses de style. Convaincu que ne se rattrapent pas en huit heures de formation des carences installées de longues dates. Par ailleurs, en marge du présent module réalisé et au regard de plusieurs commandes déjà effectuées sur ce thème, j’ajoute qu’il est curieux de voir une profession, celle de l’éducation spécialisée, mettre la focale sur les écrits dans un contexte sociétal où l’essentiel de la communication se résume à l’envoi de SMS rédigés de façon phonétique et faisant de la transgression des normes lexicales et grammaticales une marque de progrès. Qu’il est pour le moins paradoxal de constater un regain d’intérêt de la profession pour les écrits professionnels, et donc pour la clinique (dès lors que celle-ci est, selon Michel Foucault, l’art du passage du voir au savoir), alors que le dit terme, celui de clinique, a été expurgé de la définition du travail social. Qu’il est étrange de constater un retour d’attention porté aux écrits professionnels alors que le machinement institutionnel privilégie l’usage des outils du numériques et manie les injonctions à rendre compte à partir de formulaires aux réponses préformatées. Appelé à devoir animer d’autres séquences sur ce thème des écrits professionnels, tant en inter-établissements (1) qu’en intra, il me paraît primordial de n’être dupe ni des calculs financiers ni des stratégies de gouvernance institutionnelle dont la formation est devenue l’otage. C’est le métier d’éduc qui a été communément et copieusement insulté toutes ces dernières années et qu’il va falloir restaurer dans sa dignité afin de hisser les compétences professionnelles au niveau d’un savoir agir métissé d’un savoir dire.

Au cours d’une journée de travail caractérisée par une présence de proximité aux personnes accompagnées, un éducateur est à la fois le témoin et le co-acteur de multiples situations au cours desquelles il devient le dépositaire d’une masse importante d’informations, la plupart d’apparences anecdotiques et certaines au semblant d’urgences. Pour s’engager dans un écrit professionnel, et avant même que de saisir le clavier ou le stylo, l’éducateur doit parvenir à les hiérarchiser, les trier et les classer en fonction des objectifs déclinés dans chacun des projets personnalisés dont il est appelé à restituer l’évolution. Tandis que résonne l’instant de l’agir, l’écrit raisonne le temps d’un devenir. C’est donc bien d’un métier dont il est question au travers ce savoir faire adossé à un savoir être, et non pas d’une simple affaire de bon sens à acquérir par quelques procédures ou recommandations. Longtemps affublés d’une incapacité à écrire, sans doute pour réserver à d’autres considérés comme plus savants le privilège de pallier cette supposée déficience, il est grand temps que les éducs sortent de l’infantile dans lequel ils sont maintenus, parfois avec leur complicité, et qu’ils reprennent la main sur leur métier. Et je ne saurais clore cette chronique consacrée aux écrits professionnels, du moins momentanément, sans remercier et rendre hommage à nos collègues des îles Loyautés (province de Nouvelle Calédonie) dont les témoignages retranscris au début de ce texte et la qualité de l’engagement témoignée tout au long des quatre fois deux heures m’appellent à plus d’humilité quant aux certitudes théoriques développées par quelques disciplines académiques et à encore plus de positionnement critique à l’égard de normes établies en métropole sous prétexte de « bonnes pratiques ».

(1) Écrits professionnels, éléments clés de la relation éducative – érès formations (editions-eres.com)

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