La bataille politique de l’enfant

La bataille politique de l’enfant

 

Cahors

Rien de plus explicite que le titre de la dernière publication de Jean-Marie Sauret, psychanalyste, professeur émérite de l’université Jean-Jaurès (Toulouse) et chercheur au pôle de Clinique psychanalytique du sujet et du lien social (LCPI). Car une bataille s’engage au nom du rétablissement de l’enfance dans les sociétés post-modernes, et les réflexions de Jean-Marie Sauret permettent à la fois d’en comprendre les causes et les stratégies à mettre en œuvre.

Deux éléments d’analyse, qui sont simultanément deux diagnostics partagés, trament l’ouvrage. Le premier diagnostic concerne ce qui fait malaise dans cette culture : il est la traduction d’une société qui fait de la consommation le seul vecteur de son développement  et qui machine le quotidien de sorte que tout individu replie le désir sur le jouir. Sur ce point, Jean-Marie Sauret, le psychanalyste, rejoint Marcel Conche, et Alain Badiou et de nombreux autres philosophes contemporains qui tous décrivent une amputation sans précédent du Sujet. Cette logique d’un devenir individuel allégé de l’angoisse du manque, selon le discours psychanalytique, ou de l’incomplétude de l’Etre, selon la tradition philosophique, interdit tout advenir singulier de la personne, et n’a d’autre alternative que de rabattre le symptôme sur le pathologique alors que le symptôme est la façon dont tout enfant bricole sa présence au monde afin de donner un sens à son être-là.

Dès lors, le second diagnostic partagé concerne le malaise de l’enfant projeté dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Enfant redouté, enfant frustré, enfant addicté, enfant gavé, pour reprendre tels quels les mots de Jean-Marie Sauret ou encore enfant coupé de tout désir, enfant sur-adapté aux exigences sociales sont autant d’éléments de description du mal-être qui rejoignent le diagnostic posé par Rémi Puyuelo, psychiatre et psychanalyste, évoquant un enfant « abusé narcissique ». Enfant branché, selon les termes de Jean-Marie Sauret (et à ce titre les pp. 61-77 sont incontournables), ou enfant abusé narcissique, selon le concept proposé par Rémi Puyuelo, les deux expressions disent bien l’ampleur du problème auquel se trouvent confrontées les sociétés contemporaines.

Comment les parents peuvent-ils assurer leur rôle dans un tel contexte ? se demande alors Jean-Marie Sauret. Les parents certes… et aussi les professionnels de l’éducation spécialisée, ai-je envie d’ajouter. En effet, de toute part, remonte le désarroi des équipes des ITEP confrontés à ces comportements qui souvent n’ont rien de nouveau mais dont la violence du retour dans les passages à l’acte prend de cours les professionnels non avertis de ces troubles. A lire Jean-Marie Sauret, et d’autres auteurs telle que Jeanine Duval-Héraudet, il me vient à l’idée que deux éléments de stratégie peuvent être mis en place de manière convergente par l’adulte éducateur, qu’il soit parent ou professionnel. Ces deux éléments de stratégie sont de replacer l’enfant dans le regard de l’adulte (ce que j’appelle le « point d’inflexion) et de remettre l’enfant dans la parole (ce que Lacan nomme le « mot du symptôme »). Avoir un regard susceptible de voir au-delà de ce qui se donne à voir. L’adulte ne sait plus regarder l’enfant, portant la focale sur ce qui manque et non pas sur ce qui reste. Dans trop d’institution, l’attention est portée sur ce qui fait bruit dans le symptôme et non pas ce qui, à travers celui-ci, se dévoile ce qui reste du désir à être de l’enfant en dépit des souffrances rencontrées. De même, l’adulte tend à ne plus savoir inscrire l’enfant dans la parole dès lors que les occupations du quotidien détournent ce dernier de l’entrée dans l’imaginaire et de l’appui qu’il offre au développement du « je ». Dans l’offre faite à l’enfant, tout tend à être pré-fabriqué de sorte à être immédiatement accessible. Pourtant les professionnels sont outillés et ont développé des savoirs faire et être pour éviter de tels obstacles. A bien des égards, les techniques de médiation et la ré-introduction d’espace et de temps d’atelier de lecture, de contes, de dessins, d’activités sportives, etc. qui ne soient pas seulement des prétextes à tuer l’ennui de vivre des enfants et l’ennui au travail des adultes sont de puissants leviers pour replacer le sujet en devenir et dans le regard et dans la parole.

L’ouvrage est une somme de conférences ou d’articles déjà produits ce qui peut faciliter l’entrée dans celui-ci pour qui est habitué à saisir un livre de façon non linéaire, dans une lecture progressive de la première à la dernière page. Dans le cas de l’ouvrage de Jean-Marie Sauret cette composition particulière peut être une aide car, il faut bien l’avouer, la lecture de l’ensemble est aride ; elle présuppose une solide fréquentation de l’œuvre de Sigmund Freud et de Jacques Lacan. Pour être honnête, le sens de quelques passages du livre demeure pour moi inaccessible, puisant dans l’intuition plus que la compréhension l’envie de poursuivre malgré tout la lecture et d’intégrer les éléments incontournables de la leçon freudienne. Reste que la ténacité s’avère payante. Jean-Marie Sauret jette sur l’enfance des sociétés contemporaines un regard éclairant, parce que lucide sans être désespérant.

Jean-Marie Sauret, La bataille politique de l’enfant, coll. Humus, éditions érès, Toulouse, 2017

Pour compléter :

Marcel Conche, Analyse de l’amour et autres sujets, coll. Livre de poche, éditions Librairie générale française, Paris, 1997

Alain Badiou et Truong Nicolas, Eloge de l’amour, coll. Champs essais, éditions Flammarion, Paris, 2011

Rémi Puyuelo, préface dans G. Chimisanas, Un atelier théâtre en CMP, éditions érès, 2015

Philippe Gaberan, Oser le verbe aimer en éducation spécialisée, coll. L’éducation spécialisée au quotidien, éditions érès, 2016

Philippe Gaberan, Lin Grimaud, ITEP, repères et défis, coll. Les dossiers d’Empan, éditions érès, 2015

Jeanine Duval-Héraudet, L’analyse de la pratique à quoi ça sert ?, coll. Psychanalyse et travail social, éditions érès, 2015

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