Education spécialisée : venir en soutien au management de proximité

Education spécialisée : venir en soutien au management de proximité

Symptôme d’une crise sociétale majeure, le management est systématiquement pris pour cible et soupçonné d’être à l’origine de tous les maux et dysfonctionnements actuels. Dénoncé comme étant soit forcément inadapté soit stratégiquement inapproprié, il ne se passe pas un jour sans que le management ne fasse l’objet d’une émission ou d’un débat télévisé, ne soit la thématique d’un colloque, le thème d’un mémoire de « master », le sujet d’un ouvrage ou d’un article publié. Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, les managers de proximité se retrouvent bien dépourvus lorsque, le moment venu, il leur faut impulser et coordonner une dynamique d’équipe.

L’éducation spécialisée, qui à l’instar de l’ensemble des métiers de l’humain (c’est-à-dire ceux de la santé, de l’éducation et de la solidarité) connait sans aucun doute l’une des plus graves crises de sa toute jeune histoire moderne (post 1945), n’est pas épargnée par un tel phénomène. Longtemps silencieux, les cadres intermédiaires ou de proximité ne masquent plus leur malaise ou leurs souffrances. Positionnés à l’interface entre un directeur de pôle (lui-même très souvent situé hiérarchiquement en dessous d’un directeur général) et les professionnels qui interviennent au plus près des personnes accueillies au quotidien dans les établissements et services spécialisés, les managers de proximité naviguent entre deux cultures, c’est-à-dire entre deux logiques de pensée et deux « langues » de plus en plus étrangères les unes aux autres. L’une ayant l’œil rivé sur les contraintes qui pèsent sur l’entreprise tandis que l’autre tente de maintenir le souci du mieux-être des personnes accueillies. C’est bien ce contact entre direction et sens qu’il s’agit de rétablir.

Il est désormais acquis que le savoir manager une équipe de professionnels relève bien d’un métier ; c’est-à-dire de la pratique d’un art, éprouvé au quotidien, adossé à une science, passée au crible de son corpus théorique. L’une ne va pas sans l’autre ! Le savoir manager ne peut pas être considéré comme étant le produit d’une ingénierie acquise à partir d’un outillage théorique et d’une maîtrise conceptuelle (1). Comme a pu le dire Jean Oury, en ce domaine du management, « il n’y a rien à « appliquer » telle l’application d’une recette quelconque. » (2) Le savoir manager est aussi, et tout autant, le produit d’un engagement forgé dans la matérialité des rencontres et la confrontation aux différences poussée jusqu’à l’incertitude des négociations. Comme tel, il appartient « aux disciplines opératoires » (3). Dès lors, et parce que la diversité, l’espace et le temps sont les trois matériaux qui informent le mouvement au sein d’une entreprise, l’appréhension de ces notions (appréhension au double sens de « compréhension » et de « crainte »), devient la colonne vertébrale d’un apprentissage au savoir manager. Loin du confort des protocoles et des typologies, il s’agit de se coltiner ces trois objets complexes que sont une pluralité des postures composant un comme-un, une façon d’habiter l’espace non réduite à l’occupation de territoires cloisonnés, et une manière d’être le temps désaliéné d’un avoir quantifié. Ainsi, la diversité, l’espace et le temps sont trois notions pour ne pas dire trois concepts qui, très souvent tenues à distance voire absentes des théories classiques sur le management, inscrivent l’éducation spécialisée dans une démarche écosophique. Il ne s’agit ni de souscrire à un effet de mode ni à une morale écologique (laquelle joue trop souvent de la peur des lendemains), mais d’inscrire le savoir manager dans l’exploration d’un écosystème, l’apprivoisement de chacun de ses composants, le repérage et l’analyse de ses flux, de ses tensions et de leurs modes de régulation.

Dès lors, animer une formation au management de proximité (4), c’est se donner l’opportunité de créer une communauté d’expériences au sein de laquelle les participants s’autoriseraient à penser et à mutualiser leur façon propre d’appréhender les diverses personnalités au sein des équipes, leur manière d’accompagner un rapport au temps non plus sur le mode de l’avoir (l’urgence) mais sur celui de l’être (la trace), leurs habiletés, enfin, à faire que les espaces ne soient pas seulement définis par leurs fonctions mais aussi investis dans leur fonction symbolique. Ainsi, se donner le temps d’un arrêt sur image serait l’occasion de passer d’une intuition à la conceptualisation apte à produire un collectif de salariés, à identifier et à nommer les stratégies développées et les ressources mises en œuvre pour favoriser l’accueil de la singularité de chaque professionnel et son inscription dans un cadre commun. Les exercices proposés permettraient de donner du corps à ce qui est usuellement appelé « management participatif » et de la chair à ce passage d’une organisation verticale vers un organisation horizontale tellement mise en avant dans les discours formels. Si « l’apparition de la logique managériale dans le secteur de la santé, du médico-social et du social peut être considéré comme une rupture épistémologique… » alors il s’agit bien de faire « le pari d’une clinique qui pourrait donner sens au mangement comme d’une gestion qui pourrait soutenir la clinique. » (5) C’est là un pari que beaucoup de professionnels ont à cœur de relever. A cette fin, il s’agit moins de les « outiller » que de les accompagner dans cette démarche complexe que constitue la prise en main d’un métier.

(1) Lire les travaux de Henry Mintzberg dont, toujours d’actualité, Des managers des vrais ! pas des MBA, un regard critique sur le management et son enseignement, éditions d’organisation, 2005

(2) Jean Oury, Logique managériale, pp. 97-102, dans Clinique et management : rupture ou transition ?, éditions érès, coll. Empan, 2013

(3) Jean René Loubat, Le management ou l’art de faire réussir les entreprises humaines, pp. 39-49, dans Clinique et management : rupture ou transition ?, éditions érès, coll. Empan, 2013

(4) https://www.editions-eres.com/eres-formations/formation/manager-les-equipes-par-temps-de-crise

(5) Lin Grimaud, Alain Jouve et Paule Sanchou, introduction, dans Clinique et management : rupture ou transition ?, éditions érès, coll. Empan, 2013

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