Etre bienveillant dans l’agir professionnel (1e partie)
Partager la publication "Etre bienveillant dans l’agir professionnel (1e partie)"
La bienveillance est une compétence qui s’acquiert
De toute part dans le champ de l’éducation spécialisée ou du travail social, comme dans de nombreux autres secteurs d’activité, prend corps et s’impose un discours sur la bienveillance (bene volentia), sur le prendre soin (care), ou bien encore sur l’amour dans la relation. Mais toutes ces recommandations et tous ces protocoles ou autres référentiels de bonne pratique n’y pourront rien si ne sont pas posés, en préalable à toute forme d’agir, deux postulats. Le premier vient dire que la bienveillance, au sens étymologique de « vouloir le bien », n’est ni naturelle (pas même chez des géniteurs appelés à devenir parents) ni innée (pas même, là encore, chez les professionnels ayant fait le choix des métiers de l’humain), mais qu’elle est une compétence qui s’acquiert. De même que toutes les déclarations de principe n’y pourront rien si à ce premier postulat ne s’ajoute pas un second, à la fois indispensable et complémentaire, par lequel il est affirmé que la bienveillance n’est jamais acquise une bonne fois pour toute. La bienveillance est une compétence qui s’acquiert, se travaille, se transforme, se complexifie et se ramifie tout au long d’une vie personnelle et professionnelle. Or nous avons pu mesurer récemment encore, tant lors d’une journée d’étude de l’IRTS hdf sur son site d’Etaples, ouverte aux étudiants et aux professionnels des sites qualifiants que lors de deux journées de travail avec les équipes de la FOJ, combien de telles affirmations bousculent les certitudes et les représentations parmi les professionnels de l’éducation spécialisée et du travail social. Dans un secteur où la notion de « valeur » est très souvent invoquée au point même parfois de venir masquer l’effort de conceptualisation des pratiques, s’atteler à ce qui, par-delà l’engagement, participe du processus de professionnalisation ne va pas vraiment de soi.
Vouloir (la bienveillance) n’est pas pouvoir (être bienveillant)
Faire de la bienveillance, du prendre soin ou du savoir aimer une compétence professionnelle exige tout d’abord de s’approprier les ressorts de la clinique du sujet ; c’est-à-dire de comprendre et de soutenir le processus par lequel le « je » advient à lui-même dans le cadre d’une trajectoire de vie, que celle-ci soit impactée ou non par des événements de nature traumatique. Pour que le « je » puisse se penser il faut d’abord qu’il ait été pensé par un autre que lui-même ; pour que la personne advienne à l’existence et devienne ainsi actrice de son propre désir à être, il faut d’abord qu’elle s’aperçoive dans un « désir pour elle » porté par une autre personne qu’elle-même, sans que jamais ce désir pour elle ne soit un désir sans elle. C’est la qualité de cette présence à la personne accompagnée qui fait l’adulte éducateur, qu’il soit parent ou professionnel ! Cela exige de ce dernier l’acquisition de solides connaissances en psychologie du développement et en psychopathologie, non pas seulement sous la forme de leçons apprises en établissement de formation mais par de savoirs actualisés lors de temps de rencontre et de partage avec les personnes accompagnées. De fait, l’accès aux informations concernant l’anamnèse de celles-ci, de leur histoire et des aléas de leur trajectoire de vie sont des éléments qui viennent de manière incontournable renforcer les connaissances théoriques, offrant ainsi au professionnel la capacité de faire surgir de dessous l’universalité d’un devenir humain la singularité d’un advenir (ce qui, rappelle Michel Serres dans Le gaucher boiteux, est la définition du subjectum). Mais cela ne suffit pas ! A ces premiers éléments constitutifs d’une bienveillance s’ajoute la capacité à voir et à entendre au-delà de ce que la personne accompagnée donne à voir et à entendre par le biais de ses symptômes ou de ses dysfonctionnements. C’est cette capacité à ne pas réduire l’être au paraître qui fait de la relation d’aide sociale, éducative et de soin une relation d’amour ; c’est-à-dire, un dialogue entre le disponible de l’adulte accompagnant et le possible de la personne accompagnée. Ainsi, au savoir élaborer et partager un diagnostic, s’ajoute désormais un savoir suggérer un pronostic. Et c’est bien parce qu’il fait le pari d’un « déjà-là » dans un « pas encore-là » que le professionnel ouvre des possibles. Enfin, et pour qu’il y ait de la bienveillance dans l’agir, il importe que le professionnel soit en capacité de se saisir de supports d’action dont il maîtrise suffisamment la technique pour éprouver du plaisir dans la réalisation. De sorte que l’envie du professionnel faisant écho à l’envie de la personne accompagnée, et réciproquement, les techniques mobilisées favorisent le passage de soi vers soi par le biais de la médiation d’un autre. Dans la bienveillance, le faire est une invitation à l’être. En résumé dans un agir bienveillant, le professionnel dispose de capacités de diagnostic, de pronostic et de stratégie d’action.
Ces éléments d’une démarche de professionnalisation étant posés, nous avons dit dès le début que rien n’était pour autant acquis. Parce que les métiers de l’humain sont soumis à l’insoupçonné de toute rencontre, la bienveillance va rencontrer ces obstacles que sont l’accueil de toute nouvelle personne, la réitération des symptômes par la personne accompagnée et la mise en échec de la relation, la complexité du travail en équipe ou avec les familles. Nous reprendrons et développerons chacun de ces points dans une seconde partie, à venir.
One Reply to “Etre bienveillant dans l’agir professionnel (1e partie)”