ASE, ni criminelle ni irréprochable… mais perfectible!
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Quelles qu’aient été les intentions de FR3, faire le buzz ou informer et peu importe au fond, il n’en reste pas moins que l’acte produit, la diffusion des « Sacrifiés de la République » laisse une nouvelle fois un goût amer et le sentiment que dans notre époque, l’émotion ayant définitivement pris le pas sur la raison, toute réflexion est d’avance entachée d’amnésie. Avant les sacrifiés de la République, il y avait déjà eu, entre autres, le film Enfance en souffrance… la honte, diffusé par France 5 le 16 septembre 2014. A cette époque, le rapport Grévot sur la protection de l’enfance venait d’être rendu public et tout le secteur attendait les résultats de la mission interministérielle chargée d’évaluer la loi du 5 mars 2007. Placements abusifs et violences commises à l’égard des enfants et adolescents étaient déjà au cœur du débat, sur fond de querelles d’adultes. La protection de l’enfance est traversée par deux courants opposés ; les uns sont accusés de « familialisme », c’est-à-dire de vouloir maintenir le lien familial à tout prix, tandis que les autres sont suspectés de vouloir entretenir le « Grand renfermement » , c’est-à-dire le placement à tout prix en institution. Contre les familialistes, le professeur Maurice Berger a pour ainsi dire ouvert le feu en publiant, dès 2002, un article sur L’échec de la protection de l’enfance dans la revue Devenir avant que de le prolonger par un ouvrage du même titre. Les opposants au supposé « grand renfermement » trouvent, quant à eux, un regain d’appui dans les récentes recommandations de l’ONU exhortant la France à fermer les établissements ou services spécialisés. A ces querelles d’adultes s’ajoutent d’autres éléments de fragilisation de la protection de l’enfance. Pour faire bref, alors que l’humanité dans son ensemble fléchit sous les assauts conjugués de la mondialisation et de la dérégulation des marchés, la France n’en finit pas de s’empêtrer dans la critique de l’Etat providence. Au colloque Ethique et pratiques professionnelles, organisé le jeudi 23 mars 1995 à Nancy par Promofaf Lorraine, Pierre Rosanvallon, qui vient de faire publier La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat providence, argumente à la tribune le fait que le travailleur social doit cesser d’être « un gestionnaire de guichet » pour devenir un « magistrat du sujet ». La formule est à l’emporte-pièce. Réduire le travailleur social à un gestionnaire de guichet passe mal. Substituer une magistrature du sujet en lieu et place d’une clinique du sujet prend les professionnels à rebrousse-poil. Dix années plus tard, dans un contexte de crise du sens de l’Action sociale, les lois de 2007 s’emploieront à vider les ordonnances de 45 de tout ce qui donnait du sens à une justice pour les mineurs. Alors, dénoncer un supposé immobilisme de l’actuel président Emmanuel Macron fait sans doute partie du jeu politicien ; et puisque l’homme a choisi la fonction qu’il en assume l’action. Certes! Mais laissons-là tous ces enfantillages. Que partout où la justice doit intervenir, qu’elle le fasse, mais en silence et dans le respect du droit. Que les dérives et les déviances soient sanctionnées, mais qu’elles cessent aussi d’être l’objets de feintes offuscations et de stériles manipulations. Que le tout nouveau secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance prenne le dossier en main dans toute sa complexité, mais qu’il se tienne à l’écart des pressions de toute sorte. La difficulté de la tâche qui l’attend a d’ailleurs été soulignée par le juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig dans un post sur son Blog du journal Le monde, daté du 2 juillet 2014 : « J’ai déjà eu l’occasion de démontrer ici que l’intérêt de l’enfant, sanctifié par l’article 3 de la convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, est une véritable arlésienne. » Tout le monde veut le bien de l’enfant, c’est bien connu, mais chacun fait d’abord prévaloir ses intérêts.
Aussi, nous, éducateurs spécialisés et travailleurs sociaux avons à veiller à ce que le Politique fasse son travail… mais nous devons aussi nous atteler à faire le nôtre. « Quand régulièrement certains nouveaux venus veulent réinventer, avec générosité certes, le fil à couper le beurre », pour reprendre les termes de Jean-Pierre Rosenczveig (2005), les métiers de l’éducation spécialisée et du travail social ne trouveront leur survie que, si loin du bruit et des tumultes médiatiques, ils œuvrent à établir le socle praxéologique de leurs métiers et que, à cette fin, ils veillent à l’élaboration et à la transmission de leur histoire, autant dans sa dimension généalogique qu’épistémologique. L’urgence à s’engager dans ce long et difficile travail est d’autant plus prégnante que les toutes dernières réformes des formations et diplômes ne font qu’amplifier le morcellement et la dispersion des savoirs susceptibles d’alimenter une démarche de professionnalisation. Le dispositif français de protection de l’enfance, titre donné à son ouvrage par Jean-Pierre Rosenczveig faisait dans sa nouvelle édition de 2005… déjà 1483 pages. S’approprier une telle masse de connaissances exige beaucoup plus d’efforts que d’assister à un reportage télévisé d’une cinquantaine de minutes ! Certes, les deux médias n’obéissent pas aux mêmes logiques… toutefois tous deux prétendent transmettre. Mais tandis que le premier fait œuvre de construction… le second attise des effets de démolition. « Il est faux de rendre les services sociaux responsables d’une orientation qui les dépasse … Ainsi quand on accuse les services sociaux ou la justice, on oublie l’orientation dégagée par le parlement et donc par le pays », affirme encore le juge Jean-Pierre. Pour comprendre d’où ils viennent et où ils vont, pour retrouver à la fois une direction et le sens de leur engagement, les acteurs de la protection de l’enfant doivent, sans honte ni fausses illusions, s’approprier leur histoire, sa chronologie et ses contextes socio-culturels. Ainsi, dans la première partie d’un ouvrage intitulé Ces parents qu’on soutient, publié aux éditions érès, Jean-Pierre Thomasset revisite les quatre grands discours qui, de façon successive mais non cloisonnée, ont politiquement orienté la protection de l’enfance et surdéterminé les pratiques au fil du temps. L’ouvrage concourt à une archéologie de la protection de l’enfance indispensable pour qui veut la comprendre avant de la condamner. Ni familialiste ni enfermante, celle-ci entre de plein pied dans une ère de l’alliance au sein de laquelle tous les acteurs prennent leur place ; à cet égard, le XXIe siècle sera sans doute celui de l’alliance, ou ne sera pas… c’est ce que peut-être avait pressenti André Malraux par l’usage du terme « religieux ». Cette alliance des acteurs n’est pas une utopie ; elle n’est pas une recette non plus. C’est un art de la relation adossé à une science de l’éducation spéciale. Toute la seconde partie de l’ouvrage de Jean-Pierre Thomasset déploie une manière de faire vivre cette alliance, à partir de l’expérience du Service d’adaptation progressive en milieu naturel (SAPMN) menée dans le Gard. Et les éditions érès, dans le cadre de leur département de formation nouvellement créé, prolongent leur rôle de transmission et tentent de rapprocher les savoirs des pratiques en proposant deux module de formation, milieu ouvert et protection de l’enfance, sur ce savoir instaurer une alliance sociale, éducative et thérapeutique. Parce que ni criminelle ni irréprochable, la protection de l’enfance est perfectible… tout simplement.
2 Replies to “ASE, ni criminelle ni irréprochable… mais perfectible!”
Bien vu ! La critique est facile, l’art est difficile. Ma petite pierre dans cet immense édifice qu’est la Protection de l’Enfance : partager mon expérience de 30 années d’accueil d’enfants de l’Aide sociale à l’Enfance : difficultés, complexité, bonheur, amour, éducation, partage, vie en tribu pour que ces jeunes en souffrance deviennent des adultes responsables avec un diplôme en poche, un travail et une vie sociale : De famille à tribu Tout le monde n’a pas eu a chance d’avoir une mère tordue Éditions L’Harmattan Zorah Viola
Je partage complètement cet article, la marge de progression est certes large mais ce qu’il faut surtout c’est un schéma directeur qui nous donne les moyens de mettre en oeuvre les outils des lois de 2002, 2005, 2016. En Gironde une inspectrice gère environ 500 situations d’enfants en milieu ouvert ou placés. Nous augmentons notre capacité d’accueil de plus d’un tiers cette année encore, mais sur les lieux de vie les enfants ont les mêmes profils et l’associatif « freine des 4 fers » pour accueillir ces mineurs. Je ne parle pas de la pédopsychiatrie tant le terme m’apparaît lointain, voir inaccessible…oui le système est perfectible mais c’est d’un système qu’il s’agit et non de foyers de l’enfance où une pluralité d’établissements doit se mettre à l’ouvrage. Mais là encore je n’invente pas l’eau tiède….