L’éducation spécialisée, ça marche!

L’éducation spécialisée, ça marche!

Fresque composée par les « gamins » (détail)

De la fenêtre de la chambre d’hôtel s’offre de loin au regard le mémorial américain. Perché sur le sommet de la colline d’en face (cartographiée sous le nom de « côte 204 » dans le langage des commandements militaires engagés dans le conflit de la Grande Guerre), il a été érigé en la mémoire de l’amitié franco-américaine, des forces engagées et des soldats morts sur le champ de bataille. Vu de près, le bâtiment est immense et à la démesure des carnages d’antan. Juste au-dessous, un peu plus bas dans le contrefort, une cave de renom et un grand nom de champagne. Combien d’âme de soldats tués hantent-elles encore les bulles de ce vin pétillant ? Aucune ? Des milliers ? Mystère. Il traîne entre ciel et terre comme une invitation faite à l’étranger de passage de se souvenir d’un temps où la terre buvait le sang des hommes avant que la vigne ne s’en abreuve. Plus bas encore, comme indifférente à tous ces tourments, coule la Marne dont les eaux traversent Château-Thierry, la ville de naissance de Jean de Lafontaine. En sa statue de pierre, le poète et fabuliste sourit toujours, comme pour se moquer des hommes, certes gentiment, et comme pour les rappeler à plus d’humilité. Ses fables fleurissent ici et là aux pieds des bâtisses et aux carrefours des ruelles venant ponctuer d’une morale le caractère dérisoire des institutions, des règles et des lois. Tout bouge et rien ne bouge en la société des hommes.

Me voilà serpentant sur une départementale à la rencontre d’une MECS et de ses équipes logées avec les enfants et adolescents accueillis dans les ailes d’un château monumental ayant appartenu au maréchal de Bercheny avant que de devenir la propriété du Département. Majestueux dans ses atours du XVIIIe siècle, le château ne possède ni donjon ni rempart ; il est tout simplement une bâtisse qui a traversé l’histoire et qui aurait beaucoup à dire sur les hommes, leurs vanités et leurs obscures querelles. Soignée dans ses murs et dans son parc, que baigne au passage la Marne, elle n’a rien d’autre à faire désormais que d’abriter des gamins cabossés par la vie et que le savoir-faire de professionnels tente de réconcilier avec leurs rêves d’enfants.  Nous sommes-là ensemble pour deux jours afin de rendre visible et lisible comment des professionnels s’y prennent pour faire advenir l’enfant de dessous le gamin. Bref, comment ils s’y prennent pour mettre en œuvre une véritable clinique du Sujet. Car ça marche l’éducation spécialisée ; ça marche même bien mieux et bien plus souvent que les discours ne le laissent à croire. Une fois encore, je reste admiratif du travail effectué par ceux que des pudeurs de langage ou des maladresses de vocabulaire font taire la complexité des déplacements opérés dans le comportement de ces écorchés vifs qui leur sont confiés. « Mais de là à en faire des phrases, trop de pudeur, trop de pudeur… » Sur la route du retour en ce samedi matin, Louis Chedid est l’invité de France Musique qui donne à écouter quelques trop brefs instants de ce magnifique poème mis en musique qu’est On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime.

Agents de service, assistantes familiales, éducs diplômés ou pas, infirmière, cadres de direction tous assis autour d’un même cercle de tables concourent à faire institution. Un premier exercice permet de recueillir un jeu de post-it, collés en vrac sur le tableau avec à droite et en rouge ce qui vient faire obstacle au savoir être adulte éducateur et en vert à gauche ce qui fait la réussite d’une telle posture. « Les transgressions, les passages à l’acte, la violence » constituent une première famille de mots que des échanges, adossés à des situations pratiques, permettent d’éclairer les différences et d’estomper peu à peu les sentiments de fatigue et d’impuissance. « Le sentiment d’être utile, la réussite des enfants, l’esprit d’équipe » constituent un exemple d’une autre famille de mots venant illustrer la volonté de maintenir une présence adulte dont la qualité réside bien au-delà d’un simple trait sur le planning. Je rappelle alors et j’explique pourquoi la relation d’aide sociale, éducative et de soin est une relation d’amour lorsqu’elle est un dialogue entre le disponible de l’adulte et le possible du gamin. Le lendemain, le travail en groupe à partir des notions « d’accueil, de rencontre, de présence » permet le partage de situations au cours desquelles le déplacement des comportements opérés suscite une montée d’émotion chez les professionnels présents… « On ne leur dit jamais assez que sans eux, sans elles, on ne serait même pas la moitié de nous-mêmes. » (Louis Chedid)

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