Les politiques inclusives par temps de crise sanitaire

Les politiques inclusives par temps de crise sanitaire



Il pourrait paraître incongru de venir parler de démarche inclusive en pleine période de confinement… Et pourtant ! Directement concerné par la psychiatrie de secteur, d’abord parce que de nombreux collègues y assurent une présence à la hauteur de leur métier et, ensuite, parce que mon frère Pierre (1), est bien lui aussi confiné, seul en son appartement, dans une solitude qui prend un autre relief avec cette crise sanitaire. Le voilà plus que jamais exposé au seul dialogue avec ses « démons »… Pour autant, chaque matin, le service infirmier continue à passer chez lui et à franchir le seuil de son logement. Certes pour s’assurer que le traitement est bien pris, mais pas seulement… A travers la banalité de ce petit rien qui pourrait facilement basculer dans la routine, les gens de métier veillent au maintien d’un rituel dont la symbolique est d’autant plus vitale que l’imaginaire de la personne est menacé par le retour de ses délires. A ce service infirmier se rajoutent toutes les personnes qui habituellement se positionnent sur les lignes d’erre de Pierre… Café philo, ateliers d’art, etc. En clair, tous ces multiples carrefours de rencontre où la folie se dilue dans les élans créatifs. Ils étaient hier essentiellement matérialisés par des rencontres physiques réunissant animateurs et participants. Ils sont aujourd’hui incarnés par des appels téléphoniques… y compris avec son médecin psychiatre. Alors bien sûr, il ne faut pas se leurrer.  Au moment où la nuit tombe, cet instant de la journée bien repéré par tous les professionnels pour les angoisses qu’il fait immanquablement resurgir, le sentiment de vide s’engouffre chez lui par toutes les minutes d’un sommeil trop long à venir. Dans le passage de la veille à l’abandon de soi se joue à pile ou face le sens à demeurer là présent au monde, la tentation de démolir son identité en la réduisant à un sentiment de déchet, le basculement dans des monologues au cours desquels toutes les forces du vivant se liguent contre lui. C’est peut-être dans ces instants d’autant plus vécus à distance que nous, frères et sœur,  pourtant professionnels du soin ou de l’éducation, serions conduits par nos affects à douter le plus de la pertinence des politiques inclusives. Mais si les doutes peuvent être légitimes, la tentation de céder à la facilité l’est moins. Aussi, à l’heure où les professionnels du soin, de l’éducation et de la solidarité réinventent, sous la contrainte certes mais de façon magistrale, une nouvelle forme de rapport à l’espace et au temps se noue de toute évidence le devenir de la psychiatrie de secteur.

Dans son numéro 117 du mois de mars 2020, la revue Empan consacre son dernier numéro aux Politiques inclusives ; c’est son titre (2). Il y a là une lecture à saisir par tous ceux, personnes en situation de vulnérabilité, parents ou professionnels qui, en ces temps libérés par force, veulent saisir la complexité de cette démarche impulsée non pas seulement par des lois et des décrets, mais aussi et peut-être surtout par l’évolution des savoirs et des mœurs. Les politiques inclusives non seulement n’entament en rien les valeurs humanistes fondatrices des métiers de l’humain, mais elles vont dans le sens de l’appropriation à la fois continue et progressive d’un droit à la ressemblance lové sous un droit à la différence. Il est impossible voire inutile de reprendre l’essentiel de chacune des contributions de ce formidable dossier. Une fois encore la revue Empan frappe par sa capacité à associer complexité et accessibilité des contenus (ce qui ne veut pas dire « facile ») ; il y a dans ce dossier des notions à glaner pour quiconque veut moissonner une pensée des temps présents. En l’occurrence, deux questions peuvent servir de fil rouge à l’ensemble des textes. La première : comment ne pas faire de la démarche inclusive un dogme ? Etant rappelé, dès le début du dossier, qu’un dogme est « un ensemble de croyances indémontrables scientifiquement qui constituent un récit. » Il est évident qu’un renfermement dogmatique serait la pire des menaces exercées sur la démarche inclusive. S’il pouvait et s’il devait jaillir un « monde d’après », sous-entendu un monde d’après le coronavirus, il serait à souhaiter que ce soit un monde qui sache accueillir la complexité et donc, qui sache tourner le dos aux crispations des argumentations à partir de la seule alternative entre « pour » ou « contre ». Dès lors, s’impose la seconde question qui relie l’ensemble des réflexions capitalisées par les coordinateurs du numéro : comment soutenir le possible d’une démarche inclusive en dépit de tous les obstacles voire même les « paradoxes » qu’elle suscite ? Car généreuse dans leurs intentions, les politiques inclusives sont forcément compliquées dans leurs applications. Lu à la lumière de cette crise sanitaire, laquelle convoque immanquablement l’humain à devoir redéfinir ce qui fait son humanité, ce numéro invite à penser ce difficile travail consistant à faire surgir la singularité des personnes de dessous l’universalité des individus. Plus que jamais ce numéro d’Empan parle de clinique : de clinique sanitaire, éducative ou sociale.

Ce n’est pas faire preuve d’optimisme béat que de parier sur le fait que les portes du changement culturel peuvent s’ouvrir. L’histoire de l’humanité témoigne de sa progression vers le meilleur en dépit de sa production du pire. Ce numéro d’Empan en témoigne…

  • Philippe Gaberan, Naître à mon frère malade, dans Frères et sœurs de personnes handicapées, éditions érès, 2012
  • En ces temps où les circuits de distributions sont lourdement impactés, l’ouvrage peut être commandé directement aux éditions érès qui assure le service en dépit de la crise sanitaire https://www.editions-eres.com/commander-nos-livres



2 Replies to “Les politiques inclusives par temps de crise sanitaire”

  1. Philippe!
    Ton engagement est la plus belle réussite de ton frère qui t’apporte là tendresse,humanité mais aussi colère et desaide .L’écriture,, expérience douloureuse mais aussi exquise de vie, peut en témoigner, doit en témoigner pour le futur afin qu’elle soit transmise et réécrite par d’autres
    Avec mon amitié.
    Rémy PUYUELO

    1. Merci Rémi Puyuelo, dont je veux rappeler ici la richesse des travaux sur l’enfance en difficulté notamment par le biais de cette notion d’abusé narcissique que tu développes dans la préface au livre de Gérard Chimisanas, Un atelier théâtre en CMP aux éditions érès ou tout au long de ce livre fabuleux qu’est Enfances défaites et créativité, récits psychanalytiques aux éditions In Press.
      Notre rêve ou notre délire partagé entre Pierre et moi aura été un livre à quatre mains qui n’aura jamais vu le jour… Comme beaucoup de frères ou sœurs de personnes en situation de handicap, j’aime de toutes mes inquiétudes et tendresses ce frère qui, à ma sœur et mes frères, nous aura autant apporté que dérobé.

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